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SECONDS (1966)

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Manu le 17/07/2011 à 12:07
3.9
Réalisé par John Frankenheimer
Avec Rock Hudson, Salome Jens, John Randolph, Will Geer, Jeff Corey.
Film américain
Genre : Science-fiction, drame, suspense
Durée : 1h 40min.
Année de production : 1966
Titre français : Opération diabolique
Musique : Jerry Goldsmith

Sortie Cinéma France : 12/04/1967
Sortie DVD France : n.c.

Les notes

3.9



 Critique SECONDS (1966)
Avis rédigé par Manu   |  le .   |  Note : 3.9
Seconds est, dans la filmographie de John Frankenheimer, le troisième volet de sa trilogie dite de la « paranoïa ». Entamé en 1962 par The Manchurian candidate, poursuivi 2 ans plus tard avec 7 days in May 2 ans, ce suspense philosophique flirte davantage encore avec le fantastique que The Manchurian … tout en maintenant constamment son récit dans un univers très réaliste, très « matériel » diront-nous, pour coller avec le sujet. Peut-être le plus imparfait des 3 films précités, Seconds est en revanche le plus ambitieux et le plus essentiel du triptyque, de par la richesse de la réflexion qu’il propose, le caractère universel de celle-ci et l’importance qu’elle revêt au sein de l’œuvre de son auteur.

La place de l’homme dans la société moderne, et son incapacité presque « naturelle » à composer avec elle, est le noyau de l’intrigue du film, qui ressemble presque par instant à l’un de ces cinglants contes moraux proposés quelques années plus tôt par Rod Sterling sur sa fameuse série Twilight Zone. Mais un Twilight Zone se situant sur une autre échelle artistique, beaucoup plus pointu dans le discours, qui décortique – non sans humour - les grandes composantes de l’american way of life (cf. les personnages que rencontre Arthur Hamilton/Tony Wilson avant sa renaissance, qui sont autant de facettes de celle-ci) et nous en expose l’inanité.

Un Twilight Zone également beaucoup plus élaborée dans la forme, à la mise en scène brillante, souvent oppressante, toujours justifiée dans ses effets, épaulée par une superbe photographie noir et blanc du grand James Wang Howe (si talentueux qu’il était réputé pour vampiriser les projets sur lesquels il travaillait). On peut également souligner la remarquable partition de Jerry Goldsmith, aussi inspirée dans son approche « classique », avec un thème dramatique d’une infinie tristesse comptant parmi ce que ce compositeur a écrit de plus touchant, que ses passages atonaux, qui annoncent son Planet of the apes composé 2 ans plus tard.

Bref, un classique, et pour son auteur et pour le cinéma américain de l’époque, qui fut un échec cuisant à sa sortie (avec notamment une projection cannoise désastreuse). Notons qu’un projet de remake avait été évoqué il y a quelques années (sous la direction de Jonathan Mostow). Un projet qui, s’il était concrétisé, aurait tout de même eu beaucoup de mal à combiner exigences commerciales actuelles et fidélité au discours radical du film originel.

En complèment, un texte écrit à la découverte du film :

Souvent rattaché à Un Crime dans la tête et Sept Jours en Mai dans la filmographie de John Frankenheimer, L’Opération Diabolique partage avec eux ce climat oppressant et poisseux de sourde paranoïa, climat que John Frankenheimer s’applique d’ailleurs à retranscrire presque physiquement à l’écran à travers, dans chacun de ces trois films, des plans appuyés sur ses personnages transpirant à grosses gouttes : John Randolph ici, Edmond O’Brien dans Sept Jours en Mai, Frank Sinatra dans Un Crime dans la Tête. Et, incontestablement, il s’agit là encore de l’une des œuvres majeures du cinéaste, ainsi que, dixit John Frankenheimer lui-même, « le seul film que j’ai fait qui soit passé du statut d’échec à celui de classique sans jamais avoir eu le moindre succès ».

Première clef de la réussite de ce film d’allure pourtant plutôt mineure dans l’œuvre du cinéaste : l’extrême qualité de son script, signé Lewis John Carlino (futur scénariste du magistral Le Flingueur de Michael Winner avec Charles Bronson). En effet, rarement le cinéaste aura bénéficié d’un sujet proposant au spectateur autant de niveaux de lecture.

En surface, L’Opération Diabolique peut se voir comme un conte fantastique contemporain, sorte d’épisode étiré de la série de Rod Serling La Quatrième Dimension. Même incursion progressive et implacable du fantastique dans la réalité, envisagée comme une distorsion du réel, précipitant son pantin de personnage principal au bout d’un cauchemar sans retour. Soit une intrigue fantastique jouant plus sur l’atmosphère et le suspense que sur l’accumulation de rebondissements.

Voilà pour les apparences. Pour le sens, cette histoire de banquier aspirant à une vie d’artiste se présente tout d’abord comme une nouvelle réflexion sur le mythe du rêve américain (combinée à une savante variation sur le personnage de Faust), thématique neuve dans l’œuvre de John Frankenheimer mais qui, par le biais des évènements personnels que celui-ci va bientôt traverser, deviendra l’un des sujets récurrents de son œuvre. Et c’est déjà le doute - et un profond pessimisme - qui incontestablement l’emporte dans cette première approche. John Frankenheimer y fustige la recherche obsessionnelle de la réussite commerciale et de l’éternelle jeunesse (que, détail significatif, Arthur Hamilton/Tony Wilson part chercher du côté de Malibu, en Californie), jusqu’à un final qui, à en croire le cinéaste, ne laisse aucun doute quant au caractère illusoire de toute tentative visant à échapper à ce que l’on est, et, par extension, à son environnement.

Imprégné de la même vision paranoïaque du monde qu’Un Crime dans la Tête et Sept Jours en Mai, L’Opération Diabolique rejoint également ces deux films dans la forte résonance politique de son contenu qui, à travers sa description de l’effrayante compagnie commerciale avec laquelle va pactiser Arthur Hamilton, s’attaque en fait à l’ensemble de la société capitaliste américaine (et plus largement occidentale). Ainsi les différents interlocuteurs que rencontre le personnage principal dans sa démarche de changement d’identité apparaissent-ils tous comme autant d’icônes représentatives des diverses formes d’aliénations créées par nos sociétés modernes dans le but de museler l’individu : du cadre supérieur agressif, amoral et vorace - symbole du phénomène de la consommation de masse - au grand patron paternaliste, sentimental et complaisant - représentatif du monde politique et patronal - en passant par le pasteur rationaliste, cynique et hypocrite – figure représentative de l’influence anesthésiante des religions occidentales dans nos sociétés, religions fondées en grande partie sur la notion de culpabilité.

Enfin, L’Opération Diabolique demeure sans doute, à posteriori, l’œuvre la plus autobiographique de son auteur. Non seulement certains détails de l’histoire – Arthur Hamilton avouant avoir rêver d’une carrière de tennisman professionnel, tout comme John Frankenheimer dans sa jeunesse – le laisse clairement ressentir. Mais la trame générale du film elle-même, celle d’un individu se retrouvant au bout du compte tiraillé entre deux existences, l’une confortable mais sans enjeu et l’autre plus créative mais beaucoup plus frustrante, entretient de troublantes similitudes avec le parcours de John Frankenheimer dans ses relations avec Hollywood. Cinéaste à la recherche de succès mais également d’une véritable reconnaissance artistique, ce dernier imprégnera en effet une grande partie de son œuvre, de la fin des années 60 jusqu’à ses ultimes travaux, d’une inconsciente mais néanmoins indélébile sensation de frustration créative, comme, d’autre part, d’une recherche de plénitude artistique quasi-utopique, à l’image du rêve de seconde chance d’Arthur Hamilton.

Ne serait ce qu’à travers ce seul contenu, L’Opération Diabolique tient donc déjà de l’oeuvre de première importance pour son auteur. Mais celle-ci se double d’une éclatante réussite formelle. Le film démarre sur un générique magistral, l’avant-dernier issu de la fructueuse collaboration entre John Frankenheimer et le maître du genre Saul Bass, nous plongeant au cœur du mal être de l’homme moderne. Puis le cinéaste va multiplier, dans un somptueux noir et blanc, les trouvailles visuelles et formelles propres à générer le malaise et la claustrophobie, grandement épaulé dans cette démarche par le légendaire directeur de la photographie James Wong Howe (Le Grand Chantage). A son sujet John Frankenheimer déclarera d’ailleurs : «Le choix de l’objectif et du cadrage n’a rien à voir avec le directeur de la photographie [dans mes films]. Il vient de moi. La seule chose que je laisse à ses soins est l’éclairage. Ceci étant dit, L’Opération Diabolique fut la grande exception de ma carrière. James Wong Howe fit un travail fantastique sur ce film et reste le meilleur directeur de la photographie avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler ». Déclaration à laquelle on ne peut que souscrire au regard de la cohésion totale qui s’opère dès les premières images entre les jeux de déformations expressionnistes et de lumières baroques de James Wong Howe (assisté ici de deux futurs grands de la photographie : John Alonzo et William A. Fraker) et la réalisation angoissée de John Frankenheimer, fourmillant d’effets de style savamment réfléchis (succession de plans très courts, utilisation d’objectifs inhabituels, recours régulier au très gros plan, distorsion de l’image …).

Le film enchaîne ainsi les séquences visuellement saisissantes : celle d’ouverture, une filature au cœur de Grand Central, la gare New-Yorkaise, dans laquelle John Frankenheimer, attachant une caméra à la taille de l’acteur John Randolph, va expérimenter une technique de prise de vue proche de celles filmées aujourd’hui à la steadicam (Martin Scorsese réemploiera à l’identique ce procédé dans une scène mémorable de son Mean Street), l’étouffante scène intimiste entre Arthur Hamilton et sa femme, et son écrasant plan de la chambre conjugale filmé en angle extra large par une caméra collée au plafond, l’inquiétante et quasi onirique traversée des abattoirs (symbole de la standardisation des corps) par Arthur Hamilton ou encore l’ultime et hystérique séquence finale, qu’Adrian Lyne décalquera avec un certain bonheur 24 ans plus tard dans son meilleur film, L’Echelle de Jacob. La liste des séquences mémorables est ainsi très longue (on pourrait également citer la scène de l’opération de chirurgie plastique ou encore celle, étonnement osée pour l’époque, de l’orgie hippie dans la cuve à vin – scène retenue intégralement dans la version distribuée en Europe et qui, selon John Frankenheimer, dans sa version américaine tronquée, s’avérait finalement plus obscène, car plus suggestive, que dans la version intégrale européenne) et témoigne, de la part du cinéaste, d’une impressionnante richesse créative en accord parfait avec le contenu de son film.

Côté casting, John Frankenheimer souhaitait au départ un seul acteur pour jouer le rôle d’Arthur Hamilton/Tony Wilson. Son choix se porta tout de suite sur Laurence Olivier. Mais le studio refusa. A leurs yeux, l’acteur ne jouissait alors pas d’une notoriété suffisante pour assurer le succès du film. John Frankenheimer se retrouva donc avec Rock Hudson qui, ne voulant pas interpréter les deux « versions » du personnage central, contraint son réalisateur à employer l’ex-black-listé John Randolph afin d’interpréter le rôle d’Arthur Hamilton.

L’Opération Diabolique va en outre permettre à John Frankenheimer de retrouver le compositeur Jerry Goldsmith deux ans après Sept Jours en Mai. Avec, là encore, à la clef, une réussite exemplaire. Soit l’une des partitions les plus sombres et singulières du légendaire artiste, mélange insolite de Bach et de Bartok aux accents de marche funèbre.

Aussi comment expliquer le rejet à la fois critique et public du film à sa sortie. Le film souffre certes d’une seconde partie globalement plus faible que la première, passé les fascinantes 40 premières minutes consacrées au personnage d’Arthur Hamilton. « Je pense que le problème avec [Seconds] était que nous n’avions pas de second acte. En d’autres termes, nous n’avons pas su expliquer vraiment pourquoi [Tony Wilson] ne s’accommode pas de sa nouvelle existence » reconnu à ce sujet John Frankenheimer. Et il vrai que malgré quelques séquences remarquables – Tony Wilson retournant chez sa femme ou bien évidemment la séquence finale – le film semble alors plus s’appuyer sur sa technique que sur la progression dramatique de son intrigue, comme en témoigne la scène de la party chez Tony Wilson (filmée dans la véritable villa de John Frankenheimer, sur Malibu Beach), scène où le brio frôle presque le tape à l’œil.

Toutefois, s’il faut véritablement trouver une raison à l’échec total du film, sans doute est-ce plus du côté de sa thématique générale – la quête d’identité de l’être humain, et ce sentiment diffus de parfois se sentir comme dans la peau d’un d’autre (thème qui reviendra régulièrement dans le cinéma américain trente ans plus tard, au travers de films comme Fight Club ou Vanilla Sky) – que l’on doit aller la chercher. En proposant une réflexion devançant de quelques années les préoccupations de son public - en 1966, l’Amérique n’était alors pas encore totalement plongée dans le chaos identitaire provoqué par son intervention au Vietnam - L’opération Diabolique pris un peu par surprise son audience et sans doute la déconcerta plus qu’elle ne l’intrigua. Toujours est-il qu’après les éloges récoltés sur Sept Jours en Mai et Le Train, ce fut la douche froide pour John Frankenheimer. Présenté à Cannes, le film y fut si mal accueilli que le cinéaste renonça à participer à la traditionnelle conférence de presse accompagnant la projection publique. Et, effrayée par la réception cannoise du film, la Paramount préféra, aux dires du réalisateur, bazarder la distribution du film, précipitant ainsi son échec commercial.

Reste donc qu’aujourd’hui L’Opération Diabolique est considéré comme l’une des œuvres majeures du cinéaste, aux côtés d’Un Crime dans la Tête, du Prisonnier d’Alcatraz et de Sept Jours en Mai. De même qu’elle aura sans doute offert à Rock Hudson, le roi de la comédie sentimentale guimauve des années 60, le rôle plus ambitieux de toute sa carrière. Un rôle qui, à la lumière de la tragédie personnelle de l’acteur – star à la réputation de séducteur cachant son homosexualité au grand public, celui-ci sera l’une des premières personnalité d’Hollywood à décéder du SIDA au début des années 80 - dresse un troublant parallèle pour le spectateur entre les aspirations de vie nouvelle de son personnage dans le film et les propres angoisses intérieures de la star, obligée de mener une double existence tout au long de sa vie.


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