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IL POLIZIOTTO E' MARCIO (1974)

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Léo le 22/11/2013 à 11:55
4.1
Réalisé par Fernando Di Leo
Avec Luc Merenda, Richard Conte, Delia Boccardo, Raymond Pellegrin, Vittorio Caprioli.
Film italien, français
Genre : Policier
Durée : 1h 31min.
Année de production : 1974
Titre français : Salut les pourris
Musique : Luis Bacalov

Sortie Cinéma France : n.c.
Sortie DVD France : n.c.

 Anecdotes de tournage




Anecdotes, potins, actus, voire secrets inavouables autour de "IL POLIZIOTTO E' MARCIO" et de son tournage !

Interview deFernando Di Leo, menée par Davide Pulici, retranscrite avec son aimable autorisation et traduite de l’italien par Mauro Grattieri. 
par Manu le 23/03/2014 à 11:49

Dans la scénologie Di Leonienne, il nous manque le premier chapitre, celui consacré à « l’enfance, la vocation et les premières expériences » de Fernando Di Leo. Pourquoi ne commencerait-on pas par quelques indiscrétions biographiques ?

Où es tu né, ta famille, tes études …

Je suis né le 11 janvier 1932 à San Ferdinando Di Puglia, un joli petit village dans la province de Foggia. Mon père était avocat, tout comme mon grand-père ; moi-même, j’ai fait des études de droit à Rome.

As-tu fréquenté une école de cinéma ?

Non, mais j’ai beaucoup fréquenté les plateaux de tournage par l’intermédiaire d’amies actrices. Je m’étais inscrit au centre expérimental de cinématographie pour suivre des cours de réalisation. J’y fus accepté. Ma thèse portait sur Antonioni – mais je n’étais pas très assidu. Néanmoins, avec mes camarades du centre – Dell’Aquila, Weisz, Tau – nous réalisâmes en 1964 un film à sketchs, qui fut très mal distribué. Je dois préciser qu’il était produit par un certain Salviati, lequel avait déjà, en compagnie d’Enzo Battaglia, un autre camarade du centre, produit un film pour seulement cinq millions de lires. Le titre de notre film, Gli Eroi (Les héros) se transforma en Eroi di ieri… oggi… domani (Les héros d’hier… d’aujourd’hui… de demain), en référence au film interprété par Sophia Loren. Mon épisode, co-réalisé par Enzo Dell’Aquila, était intitulé Un posto in paradiso (Une place au paradis). Il s’articulait autour de l’anecdote suivante : un homme, arrivé en fin de vie, décide de léguer tous ses biens à l’église. En échange de prières grassement payées, il souhaite s’assurer une place au paradis. Mais son neveu, interprété par Giancarlo Cobelli, auquel ne va revenir qu’une part infime de cet héritage, porte plainte contre l’église, réclamant la preuve que tout l’argent versé par son oncle lui assurera bien une entrée au paradis. Dans le cas contraire, celui-ci exige que l’intégralité de l’héritage lui revienne. C’était donc là le point de départ du film, dont le ton oscillant entre le burlesque et le surréalisme, s’inspirait de certains films anglais de l’époque comme The Knack and how to get it de Richard Lester. Programmé au Mignon à Rome, le film resta suffisamment longtemps à l’affiche pour être vu par quelques intellectuels et remporta davantage de succès auprès de la critique que du public. Mais ce n’était qu’un début. C’est alors que j’ai commencé à écrire des scénarios.

Quand exactement as-tu commencé et pour qui ?

Au tout début, cela se fit un peu par hasard. Chaque fois que j’allais dîner chez quelqu’un, on finissait inévitablement par parler de cinéma. Il y avait toujours quelques réalisateurs à la table, ou des scénaristes en plein travail. Et généralement toutes les remarques que je leur glissais étaient appréciées. Bientôt, je fus appelé par certaines de ces personnes pour collaborer à leurs films. Je ne jouais pas les « nègres », la position que j’occupais est difficile à décrire. Mais cela dura quelques temps. C’est [Duccio] Tessari qui m’embaucha officiellement le premier. Paradoxalement, j’ai donc d’abord été réalisateur avant de passer scénariste. Et c’est seulement lorsque j’ai rencontré le succès comme scénariste que l’on m’offrit l’occasion de revenir à la mise en scène.

Tu as écrit pour le théâtre, le cabaret, tu as traduit des textes classiques grecs et latins. Très peu de personnes connaissent ce Di Leo là. Quand as-tu commencé à écrire ?

Très jeune, et j’ai tout de suite connu le succès. A seulement 19 ans, j’ai gagné la coupe Murano pour mon opéra dramatique en trois actes Lume del tuo corpo è l’occhio (La lune de ton corps est l’œil). Je reçu également une prime d’une commission réunissant Valentino Bompiani, Tatiana Pavlova et Gino Damerini et fut publié dans la revue Ridotto de Venise. Mon drame fut mis en scène dans de nombreux théâtres expérimentaux. J’ai également dirigé une anthologie consacrée à de très jeunes auteurs intitulée L’arlecchino et ai collaboré ponctuellement à des revues telles que Vie nuove, Sipario, Leggere … J’étais bien parti mais le service militaire interrompit tout. Celui-ci durait un an et demi à l’époque. Lorsque je revins à Rome au tout début des années 60, je repris le travail et, en 1963, me mis à écrire en collaboration avec Eco, Flaiano, Malerba et Patti tous les textes du spectacle de cabaret de Giancarlo Cobelli et Maria Monti Can Can degli italiani. Ce spectacle fut mise en scène, entre autre, au théâtre Piccolo de Milan et connu un gros succès public et critique.

Tu as également publié plusieurs livres …

De Le intenzioni, recueil de poésies édité chez Rebellato à I gioni della provincia, aux éditions Gauguin, de I nostri atti, roman édité au club degli autori, aux récents Da lunedi a lunedi (éditions Il nuovo tempo), Suite a due voci, publié aux éditions Nocturno et Le donne preferiscono le donne, chez Pixel press, disponible en librairie depuis janvier 2001. Mais j’ai également travaillé pour le théâtre dans les années 70 et 80, adaptant et traduisant pour la compagnie Della Quercia del tasso de Sergio Ammirata Il gorgoglione, Il persiano, Le donne in assemblea. Et aussi en écrivant deux comédies : L’ulisseide et Western sinphony, le seul western théâtral jamais écrit à ma connaissance. A cela on peut ajouter une cinquantaine de scénarios, ceux de mes films et une trentaine signés pour d’autres réalisateurs – ainsi que de nombreux travaux de retouches, ajustements, rectifications de scènes. Enfin j’ai écrit et produit plusieurs spectacles pour le Setteperotto, le cabaret d’avant-garde romain de Silvano Spadaccino : In attesa di dittatore si replica la democrazia, Il meglio è finito, Quando il dollaro morirà, A cavallo della tigre, etc ...

Le western à l’italienne: tous ses plus grands succès, du premier au dernier, tu les as écrit ...

Des westerns, à cette époque, il y en avait déjà eu une quarantaine, diverses coproductions avec l’Espagne, l’Allemagne, la Yougoslavie. Mais le peu de succès qu’ils avaient rencontrés au box-office en limitait alors l’expansion. Néanmoins, les gérants de salles italiennes en réclamaient car le cinéma américain n’en produisait plus assez. Là-bas, la télévision avait pris le relais dans ce domaine. Mais le public européen, lui, continuait à le réclamer haut et fort. Une telle conjoncture, aussi favorable à l’explosion du genre, explique pourquoi un western réussi comme Pour une poignée de dollars rencontra l’extraordinaire succès que l’on sait. Après ce film, la donne changea entièrement et même l’Amérique se remit sérieusement à la production de western.

Qui fut responsable de ce phénomène, celui qui détermina cette décision ?

Le public. Le public italien (mais ce phénomène était certainement plus large, n’oublions pas 007). Le public n’a jamais autant réclamé de films lui permettant juste de s’évader qu’à cette époque. C’est triste mais c’est comme ça. Et ce cinéma d’évasion se devait d’être en permanence renouvelé. Quant au reste, comprendre le spectateur italien était très difficile. Les producteurs avaient tenté d’offrir une large gamme de produits au public, pour finalement se heurter à des réactions imprévisibles. Des films corrects même si pas exceptionnels comme Italiani brava gente, Main basse sur la ville, I compagni n’avaient pas obtenu les recettes escomptées. D’autres films de cette période, signés avec soin et compétence, avaient connu une carrière difficile. Inutile de tous les citer, ils sont nombreux. Disons qu’il y avait des produits de série A comme le 8 ½ de Fellini, Le désert rouge, L’évangile selon Saint Matthieu qui avaient déçu leurs producteurs en coûtant cher sans recevoir, pour diverses raisons, l’adhésion du public. Et c’étaient plutôt les films de seconde zone comme ceux de De Sica, Hier … Aujourd’hui … Demain et Mariage à l’italienne qui réalisaient des recettes phénoménales. Mais ils n’étaient pas de bons indicateurs des tendances du moment, car ces films bénéficiaient de la présence de grosses stars comme Loren et Mastroianni. Il était logique que les producteurs, qui avaient tout essayé, soient désorientés. Début 1965, rien qu’en Italie, une production comme Une poignée de dollars avait encaissé deux milliards de lires, un chiffre qui laissait pensif et ne pouvait être ignoré. Il s’agissait de la plus grosse recette jamais enregistrée pour un western. Un succès comparable, seul James Bond était en mesure de l’obtenir, mais ce type de film exigeait des coûts de production beaucoup plus élevés, lorsqu’on pense que Pour une poignée de dollars avait été réalisé pour moins de 250 millions de lires.

Tu as déclaré un jour que la nouveauté du western à l’italienne résidait fondamentalement dans son recours à l’hyperbole. Peux-tu développer cette idée ?

Je sais bien qu’ «hyperbole » est un terme exagéré, mais c’était quoi les James Bond 007 – des films de la même époque que le western à l’italienne – si ce n’est des films hyperboliques ? Les westerns classiques – ceux de John Ford par exemple – n’étaient pas des films hyperboliques, mais ceux produits en Italie, oui. En tout cas, Duccio Tessari, Sergio Leone et moi nous le ressentions comme cela. Mais ce n’était pas qu’une question d’hyperbole, c’était aussi une sorte de jeu « européen ». Je prend l’exemple suivant : lorsque Tessari réalisait Una Pistola per Ringo avec Giuliano Gemma : à la fin le méchant arrive, sort son pistolet et descends tout le monde. C’était absolument génial. En concluant son film comme cela, Tessari s’adressait au public, lui disait « Moi, je m’amuse, est-ce que vous voulez jouer avec moi ? ». Personne n’avait obtenu aussi directement du public une telle complicité dans un genre – le western – jusqu’alors seulement importé de l’étranger. Cette attitude, Tessari la réservait aussi bien aux méchants qu’aux gentils dans ses films. Leone, lui, en revanche, croyait un plus dans le genre.

Quel fut ton rôle dans l’écriture de Pour une poignée de dollars et Pour quelques dollars de plus ?

Je ne sais pas qui à dit à Leone – vu que cela s’est répandu d’un peu partout – que Yojimbo présentait certaines caractéristiques de western (quelques cinéastes cultivés s’était même aperçu de l’ascendance qu’avait sur ce film le roman de Dashiell Hammet La Moisson rouge). En tout cas, quand Sergio nous a convoqué, Duccio et moi, on a tout de suite pensé à en faire une adaptation. Duccio était pour injecter un bonne dose d’ironie dans l’histoire, moi je voulais faire quelque chose de différent, Leone, lui, était clairement pour le plagiat : il fallait juste s’en détacher un petit peu, en fonction des spécificités du genre. Plus que Duccio, j’ai donc travaillé sur la « voie du plagiat » et Sergio a obtenu le scénario qu’il voulait. Il faut dire que l’originalité de Leone résidait surtout dans sa façon de tourner, une fois qu’il s’était réellement imprégné de l’intrigue.

« Originalité », dans quel sens ?

Ces gros plans, tous ces détails employés de façon aussi « intense », on n’avait jamais vu ça. Dans l’histoire du cinéma, il fallait revenir au temps du muet pour retrouver des séquences construites de cette manière. Mais ce n’était pas uniquement ça qui faisait la valeur et le challenge du cinéma de Sergio. A cette époque commençaient à apparaître tous ces spots publicitaires, de véritables petites histoires racontées en quelques plans. Le cinéma avait bien observé cette nouvelle tendance et il essayait de reprendre à son compte ce mode de narration basé sur la vitesse. Sergio, lui, savait dilater et cloisonner le temps cinématographique et réussissait ce tour de force de « tenir cinématographiquement sur la longueur » ses séquences. Il était à contre-courant total de ce qui se faisait alors en matière d’écriture cinématographique mais il était tellement doué que le public ne s’en apercevait même pas. La lenteur se transformait en style chez lui. Evidemment, tout n’était pas monté de cette façon, seulement les passages clefs de l’histoire. Et c’était ces moments-là qui hypnotisaient réellement le spectateur. En ce qui concerne Et Pour quelques dollars de plus, dès que l’on a compris que Pour une poignée de dollars était en train d’exploser dans les salles, Sergio a tout de suite voulu en faire une suite. Sergio, Duccio et moi, on ne parlait que de ça. Et tout de suite on s’est réuni pour trouver un nouveau sujet. Chacun y est allé de son idée. Finalement, l’histoire était celle de deux chasseurs de prime travaillant habituellement seuls et d’un bandit dont la tête est mise à prix. La prime offerte pour ce bandit est tellement élevée que les deux chasseurs décident de faire équipe ensemble. L’un est jeune, l’autre un peu plus âgé. Duccio a très vite décidé d’abandonner le projet – pour des raisons que je tairai – et je me suis retrouvé seul à travailler sur cette trame. J’ai essayé de donner une certaine épaisseur aux personnages des chasseurs de prime, tous deux assez différents dans leur psychologie. Je suis aussi allé chercher Enzo Dell’Aquila car Sergio était pressé de tourner. Le scénario l’a vraiment enthousiasmé. Le titre provisoire qu’il avait trouvé était La colline des bottes. Les seules séquences que je n’ai pas écrites sont la scène du « petit vieux » et celle du décompte des cadavres. Après ça, je n’ai plus retravaillé avec Sergio – je ne vous dirai pas non plus pourquoi – mais vu que dans les milieux du cinéma tout le monde savait que j’étais le scénariste de ces deux films, je suis devenu quelqu’un de demandé. Une suite logique. On venait maintenant me proposer des films.

Dresse moi le portrait de Leone en deux mots …

C’était quelqu'un de très conscient de sa valeur, sur le tournage il faisait toujours preuve d’une grande bonhomie.

Et celui de Duccio Tessari …

Il était beaucoup plus spirituel et intelligent que ses films …

Passons un peu en revu les westerns que tu as écrit : Sette pistole per i MacGregor …

L’idée du film – sept garçons turbulents au sein d’une famille écossaise – fut lancée par Duccio Tessari dans le bureau du producteur Sabatello. Duccio avait cette faculté de créer un film comme ça, tout en parlant, et il savait être très convaincant. Mais souvent son seul but était de sortir du bureau un gros chèque à la main. Après, le projet ne l’intéressait plus vraiment, ou alors il était déjà en train de travailler sur un autre film. Je fus donc appelé pour rencontrer Sabatello. Celui-ci me demanda d’écrire un scénario à partir de cette histoire que Duccio lui-même avait déjà dû oublier ou bien alors ne se rappelait que vaguement. Sabatallo, lui, était resté sous le charme du bagout de Duccio et, en tout cas, se souvenait mieux que lui de son idée de film. On se mit donc au travail, Enzo Dell’Aquila et moi, ou plutôt Vincent Eagle et Fernand Lyon pour l’occasion. Le résultat était un western un peu burlesque, avec plein de rythme, des personnages bien campés et beaucoup de morts. Le réalisateur – très compétent - Franco Giraldi (ou Frank Garfield) mis tout son savoir-faire au service de ce film qui fut un succès en salles. Rappelons cependant que la sensibilité de Franco Giraldi allait vers d’autres genres cinématographiques, comme le démontreront ses films suivants. Les recettes ayant été très bonnes, il fut donc décidé d’en réaliser une suite, intitulée Sette Donne per i MacGregor (parce qu’il fallait bien marier nos jeunes héros). Enzo Dell’Aquila et moi mirent l’accent sur le côté burlesque parce que l’on s’était aperçu tous les deux que, dans les salles, le public était davantage sensible, dans ces intrigues, à l’aspect comique que dramatique. Par exemple, les morts des vilains étaient généralement vécues comme des gags. Cette suite marcha également bien en salles. Il est vrai que ces deux films, qui mélangeaient le sérieux au pur divertissement, anticipaient alors bien l’évolution d’un genre qui finira par s’échouer dans la parodie au milieu des années 70. Duccio Tessari est crédité comme scénariste au générique du premier. En réalité, il n’en a pas écrit une ligne ni ne nous a livré l’un de ses fulgurants gags dont il avait le secret. Le sujet, pour des raisons de coproduction avec l’Espagne, est attribué à un certain David Moreno. Inutile de préciser qu’il s’agit là d’une sombre magouille administrative.

I Lunghi giorni della vendetta ...

L’idée de I Lunghi giorni della vendetta est de moi et de mon collaborateur habituel de l’époque (1966/67) Augusto Caminito. Le sujet fut écrit spécialement pour Giuliano Gemma, pour le compte de la P.C.M, firme qui avait lancé l’acteur avec Una Pistola per Ringo et Il Retorno di Ringo de Duccio Tessari, dont j’avais co-écrit les sujets et scénarios. Je ne sais pas qui, du côté de la maison de production, a eu l’idée de contacter Florestano Vancini. Ce fut peut-être Luciano Ercoli. Avec Alfredo Pugliese, il dirigeait la P.C.M. La P.C.M, suite aux succès des films de Duccio, était devenue si ce n’est une compagnie importante du moins une compagnie à la mode. Florestano Vancini n’était pas un grand spécialiste du genre. Il avait auparavant réalisé Le Stagioni del nostro amore. Mais comme d’autres cinéastes considérés comme « établis » - Damiani, Lizzani – il avait accepté de descendre dans l’arène pour réaliser un film qui, tout en appartenant à un genre populaire, pouvait s’avérer intéressant. J’étais chargé de le rencontrer afin de le convaincre de réaliser le film et il n’était pas très emballé par ce projet au départ. Il avait peur de ne pas être capable de réaliser un western, un genre qui ne lui était pas du tout familier. J’ai tout de même réussi à le convaincre, à l’aide de quelques phrases toute faites, du type « le cinéma, soit on sait le faire, soit on ne sait pas (…) Et comme lui était un bon réalisateur, il allait certainement faire quelque chose de bien. Nous, on lui fournirait un bon scénario. Et charisme naturel de Giuliano Gemma dans ce type de films ferait le reste ». Vancini s’en sortit plutôt bien, sauf au niveau de la production. On réunissait par exemple une centaine de figurants tel jour et lui, au lieu de les exploiter, se mettait à tourner des gros plans de ses acteurs principaux. Les figurants devaient alors être rappelés un autre jour et tout cela faisait augmenter les coûts de production. Mais chaque réalisateur à sa façon de tourner. Et il faut respecter ça, même si des fois cela revient cher. En ce qui me concerne, je n’ai pas secondé Florestano, même si je me suis rendu plusieurs fois sur le tournage afin d’y régler des problèmes de scénario.

Narajo Joe est un western qui se distinguait plus particulièrement par sa violence. Tu l’as écrit et Sergio Corbucci l’a réalisé pour De Laurentiis. Le héros en était Burt Reynolds.

Burt était considéré comme un « pin-up » boy à l’époque, à cause d’une photo dans un magazine sur laquelle il était apparu nu. Je me suis contenté de le faire jouer les indiens rebelle en remplaçant chez lui le fusil et le pistolet de l’homme blanc par des flèches et un couteau. La réalisation de Corbucci était correcte, à l’image de mon scénario. Honnêtement, je ne me rappelle pas s’il était plus violent que la moyenne dans le genre. Mais il faut bien se rendre compte – comme tu as pu l’observer – que ce n’était pas facile de greffer à chaque fois des éléments originaux ou nouveaux sur des thèmes forcement répétitifs. Mais Navaro Joe présentait quand même quelque chose en plus, comme le notait déjà en 1978 Massimo Moscati dans sa thèse sur le western à l’italienne éditée chez Timone : « Navaro Joe est le dernier survivant d’une race éteinte, vivant sur une terre désormais hostile, celle du capitalisme sauvage. La ville y est la représentation de cette nouvelle Amérique qui considère comme inférieur le peuple indien …C’est là l’une des rares fois où le western italien ira se frotter avec lucidité au thème du génocide indien ». Et comme j’ai l’ouvrage à portée de main, j’en profite pour te lire ce qu’il nous dit des deux MacGregor dont on vient de parler : « Ces films sont remplis de séquences de bagarres à la fois violentes et drôles, et de drames que résolvent in extremis des femmes, des enfants et des vieillards. Certaines séquences humoristiques de type irrationnel paraissent anticiper les meilleures inventions de Woody Allen et Mel Brooks dans ce domaine ». Pas mal, non ?

Et Kiss kiss bang bang, c’est une parodie de parodie ?

C’est un beau film qui n’a pas eu sa chance. Le but recherché était en effet celui là. Lorsqu’on réhabilitera Duccio Tessari, on commencera sûrement par ce film. Kiss kiss bang bang est un bon exemple de ce que l’on appelle le « post-modernisme ». C’est un authentique film d’auteur. J’en ai écrit le scénario en collaboration avec Bruno Corbucci, mais je dois reconnaître que les meilleurs gags venaient de Duccio.

Comment se fait-il que Fernando Di Leo n’ait jamais réalisé de western ?

Déjà parce que ce n’est pas un genre que j’affectionne particulièrement – à quelques exceptions près : Stagecoach de John Ford, High noon de Fred Zinnemann, Shane de George Stevens. Je ressentais en fait une authentique mauvaise fois culturelle en signant ces scénarios, comme si j’étais un faussaire … Mais, ainsi que l’a dit le poète - je ne sais plus lequel : « Je suis un cynique qui croit en ce qu’il fait ».

Pourtant, avec Ognuno per sè et Tempo di massacro, tu as signé quelque chose d’original …

Oui, c’est vrai, ce sont deux histoires très belles … j’ai d’ailleurs relu par hasard il y a quelques jours un article de Marco Giusti (Il Manifesto du 22 juillet 1985) qui parle de ces films : « Fulci passe du mélodrame à l’horreur dans le très étrange Tempo di massacro sur fond de complexe d’Œdipe » et, concernant Ognuno pers sè : « Van Heflin, un vieux chercheur d’or, doit affronter au terme d’un voyage initiatique un fils dégénéré étrangement attiré par Klaus Kinski …».

Et Lucio Fulci … ?

Ce que je pense de lui ? Que du bien : un professionnel honnête et sérieux. Il faisait vraiment du « cinéma » dans ses films. Dans le monde du western spaghetti, il y avait des centaines de charlatans, d’incapables qui se faisaient passer pour des réalisateurs. Ils représentaient la majorité absolue et le public, qui n’y connaissait pas grand-chose, ne faisait pas forcement la différence entre un western de qualité et son imitation. A part Leone, qui était réputé – et un petit peu Tessari et Corbucci -, le spectateur ne faisait aucune distinction entre Lizzani et Fidani. En fait, c’était à la mode d’aller voir des westerns et ce qui est à la mode n’est pas critiquable.

Il y a un film de Duccio Tessari de cette période, I Bastardi, un film noir, qui possède plus ou moins le même scénario que Tempo di Massacro …

C’est vrai ?

D’accord … Dans le film de Giorgio Stegani Al di là della legge tu es co-crédité au générique comme scénariste aux côtés de Werner Kiefer et Ina Hilger. Te souviens-tu d’eux ?

Ils n’ont très certainement pas collaboré au film. Laisse-moi t’expliquer comment ça marchait : les coproductions avec l’Espagne ou l’Allemagne devaient se faire en respectant des quotas de participation économique et artistique. Donc souvent, très souvent même, on mettait des noms espagnol ou allemand dans les scénarios et les sujets, afin de remplir ce quota « ministériel ». Par exemple, au générique de mon film La Mala ordina figure le nom du coproducteur allemand en tant qu’auteur du sujet.

Un Poker di Pistole de Giuseppe Vari, tu l’as écrit en collaboration avec Augusto Caminito ; tu as collaboré plus d’une fois avec lui …

Oui, j’ai travaillé à plusieurs reprise avec Augusto … On a même écrit ensemble pour Tessari le scénario de Un Treno per Durango de Mario Caiano. Duccio n’a fait que toucher la paye. Mais je ne dis pas ça par méchanceté : il y avait une véritable relation d’affection et d’estime entre nous.

En tout, combien de westerns …

Une trentaine, entre ceux signés et ceux non signés … sans compter les scénarios sur lesquels j’ai été appelé afin de retravailler, peaufiner ou rajouter quelque chose …

… Tu n’as pas signé que des scénarios de westerns : je fais référence aux deux films de Mino Guerrini Omicidio per appuntamento et – surtout – Gangster 70. Le premier s’inspire d’un roman de Franco Enna, alors que le second porte vraiment ta griffe – c’est un véritable film noir …

L’aspect intéressant de ces deux films, c’est que les distributeurs et les gérants de salles ne croyaient pas qu’il y avait à Rome une délinquance très active. Pourtant il fallut se battre pour réaliser ces films. J’en ai écrit le scénario, en collaboration avec Guerrini – un homme intelligent et cultivé. Malheureusement, ce n’était pas un grand réalisateur et globalement ces deux films ne sont pas très satisfaisants. Cette tentative de lancer autre chose resta sans suite.

Pourquoi tu ne me donnerais pas la liste des réalisateurs de western qui s’élevaient au dessus de la moyenne …

Excuse-moi si je t’interrompe …Il est courant de considérer les westerns « politiques » de Damiani, Lizzani, Sollima, Petroni comme au dessus de la moyenne juste parce que leurs intrigues n’étaient pas aussi primaires que celles de la majorité des westerns à l’italienne. Certaines thématiques présentes dans ces scénarios, anticipant parfois même les évènements de 68, étaient intéressantes, mais la question est ailleurs : affirmer que Damiani, Sollima, Petroni, Lizzani – et en mettant à part Leone - étaient des cinéastes plus doués que Tessari ou Fulci, indépendamment du contenu de leurs films … Moi, j’ai quelques doutes …

Comment réagis-tu aux critiques. Je prends pour exemple le film Dio li crea io li ammazzo, il t’appartient entièrement – au niveau du sujet comme du scénario. Un critique a écrit : « Le plus grand défaut du film (une histoire sans queue ni tête), réside, comme dans tout échec cinématographique, dans son scénario, incapable de structurer correctement son intrigue ». Alors j’aimerai savoir : Comment réagis-tu aux critiques ?

Généralement j’y suis indifférent. Mais je souhaiterai préciser quelque chose ici : Le western à l’italienne à surpris la critique, aussi bien la critique jeune que la critique plus traditionnelle. Très peu de monde par exemple avait « compris » l’œuvre de Leone. La plupart de ces critiques ont choisi de s’attaquer au genre. Le critique que tu cites avait certainement raison, mais je dois dire que je trouve excessif d’avoir voulu détruire comme ça ce qui n’était qu’un jeu d’enfants, car c’est ainsi que l’on considérait généralement ces westerns et c’est bel et bien dans cette voie qu’ils ont finit par s’échouer. Les Trinita tenaient plus de la farce que du western. Pour conclure, je voudrais citer Giusti qui, en 1985, déclara : « Je crois que la mort du western en Italie et son glissement progressif dans la parodie est dû à la fois à un manque de conviction comme, à l’inverse, à un trop grand respect pour le genre faisant plonger le film dans le ridicule par rapport aux thèmes qu’il aborde ». Car n’oublions pas que sur les 407 westerns italiens tournés entre 1964 et 1978, plus de la moitié était seulement des parodies du genre opérant une sorte d’infantilisation sur du public. Naturellement, je tiens à assumer ma part de responsabilité dans ce phénomène.

Ton entrée officielle dans le monde de la réalisation, tu l’as fait en 1967 avec le film de guerre Roses rouges pour le Führer …

Oui, et même si cela était déjà dans l’air depuis quelque temps. J’aurai en effet pu débuter avant, en signant l’un de ces petits films qui lancent une carrière mais la condamne aussi dans le même temps. Et puis j’ai eu cette opportunité, auprès du producteur Tiziano Longo, de réaliser Roses rouges pour le Führer. Malheureusement, presque au même moment, ou deux mois après je crois, sortait Les Douze salopards, qui rafla tous les spectateurs dans les salles. Et mon film, qui avait plutôt bien démarré, fut littéralement avalé par celui d’Aldrich. Il faut dire aussi que les deux films tenaient du même genre et le spectateur se passa rapidement le mot. S’il y en avait un à voir sur les deux, le public, également conditionné par la publicité, préférait aller voir Les Douze salopards que Roses rouges pour le Führer.

Tu avais déjà travaillé sur un sujet écrit par un autre ?

Seules existaient les grandes lignes de l’intrigue que nous devions filmer, le scénario fut en fait écrit par Enzo Dell’Aquila et moi. Même chose pour le casting : seule la décision d’avoir Jeffrey Hunter dans le rôle principal avait été prise. Le reste de la distribution fut établi par moi, et il fallait évidemment penser à embaucher des acteurs à peu près connus sur le marché international. La seule surprise fut au bout du compte le remplacement de Jeffrey Hunter par James Daly.

Rassembler une distribution internationale comme celle-ci – il y avait également des acteurs italiens comme Nino Castelnuovo, Gianni Garko et Anna Maria Pierangeli – cela t’a posé des difficultés ?

Non, par contre, ce fut une expérience très agréable et bénéfique : Peter Van Eyck, James Daly et Michael Wilding, le mari de Liz Taylor, étaient considérés comme des « Yes-men » au sein du système hollywoodien. Ils connaissaient parfaitement leur métier et, sur ce genre de film, n’en faisaient pas plus qu’il n’en fallait. De son côté, Anna Maria Pierangeli, si elle bénéficiait encore d’une certaine renommée en Italie, était déjà un visage oublié à Hollywood … Je m’étais rendu compte au cours des répétitions qu’elle vivait une tragédie personnelle et elle avait déjà entamé, à sa façon, la cérémonie de ses adieux. Et, en effet, peu de temps après, elle est repartie en Amérique pour y mourir. C’est une femme que j’ai beaucoup aimé, professionnellement et humainement parlant.

Comment te situes-tu par rapport à ce film ?

Roses rouges pour le Fuhrer est l’un de ces nombreux exemples de la colonisation américaine d’après-guerre : ce film témoigne d’une perte de l’identité culturelle d’une partie de l’Europe. Il s’agit là d’un service fourni à bas prix aux Etats-Unis. Et, pour ma part, ça n’a été qu’un pur travail de copie. Je me suis simplement inspiré de ces innombrables films de guerre américains, en y ajoutant un final dénonçant les horreurs de la guerre. Mais tout était conventionnel là dedans : les résistants jouaient les héros, les américains et les anglais étaient réfléchis mais déterminés, les allemands représentaient les méchants, la femme se sacrifiait, de même que le curé, et j’ai ajouté à tout cela un enfant sauvagement assassiné par des nazis … En résumé, c’était un festival d’évidences et de stéréotypes. J’ai travaillé dans une totale aliénation sur ce film car je faisais quelque chose qui ne m’intéressait pas, étant donné que je me sentais plus proche de la nouvelle-vague et du free-cinema. Du reste, j’avais choisi de tourner un film de guerre et je ne pouvais pas tout mélanger. Il y a quelques bonnes idées, quelques bons moments dans le film, mais ça ne décolle jamais vraiment. Le film reste ce qu’il devait être : un travail appliqué, une copie. Quand le scénario est médiocre et que les moyens économiques ne suivent pas, la réalisation seule, ça ne suffit pas. Et c’est également ce qui s’est passé sur Razza violenta.

On n’en a jamais beaucoup parlé de ce film …

C’est Brecht qui a dit « Là où règne la violence, il n'est de recours qu'en la violence ; là où se trouvent les hommes, seuls les hommes peuvent porter ». Toute proportion gardée, je suis parti de ce concept lorsque j’ai décidé de faire Razza violenta. En effet, l’action du film se situe dans le Triangle d’or. Il y a là-bas le plus gros trafique de drogue au monde du fait de l’importance de la production locale et la violence y est omniprésente. Entre le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, plusieurs prétendus groupes révolutionnaires se livrent à une guerre féroce. Et les protagonistes de Razza violenta font parti de ces hommes - dans le sens brechtien dont nous parlions tout à l’heure – de ceux qui peuvent aider à enrayer le cycle de la violence.

Tu as eu des difficultés pour tourner là-bas ?

J’en ai eu de toutes sortes, même si je ne suis resté qu’une dizaine de jours. La police thaïlandaise a posé beaucoup de problèmes à toute l’équipe avec leurs bagages : en fait ils croyaient qu’on était impliqué dans un trafic de stupéfiants. Par la suite, on a appris que la mafia locale avait déjà créé de fausses troupes de cinéma afin d’organiser le transport de sa drogue. Puis, à la zone frontalière avec le Cambodge, des soldats ont failli nous tirer dessus pour nous empêcher de poursuivre notre route. Un jour, même les éléphants se sont ligués contre nous, refusant de « tourner ». Un seul semblait prêt à coopérer, peut –être avait-il la vocation du cirque.

Qu’est-ce, pour toi, la violence cinématographique ?

Paradoxalement, l’un des films les plus violents que j’ai vu est Umberto D. de De Sica. On n’y voit aucun homme déchiqueté par une bombe à l’aide de ce que l’on sait pertinemment être des effets spéciaux, on n’y voit pas de couteau s’agiter à l’intérieur d’une plaie car là aussi on sait bien que ce n’est pas de la chair humaine mais seulement un bout de viande bovine. Umberto D. est un film violent parce qu’il nous décrit une société violente. Et autant est-il vrai qu’il existe une véritable violence dans le fonctionnement de notre société, autant les scènes décrites précédemment sont fausses et appartiennent d’abord à l’univers du cinéma. Concernant la violence, il convient de faire la même distinction que celle qui a toujours été faite entre la pornographie et l’érotisme. Marlene Dietrich était érotique, elle vous bouleversait beaucoup plus que celles qui vous dévoilent tout. Tout comme la littérature ne se fait pas avec de bons sentiments – ainsi qu’on l’a souvent dit – le cinéma doit éviter cet écueil et ne pas avoir peur d’affronter, sans les vulgariser, le sexe et la violence. C’est un fait purement statistique : les personnes ayant été en contact avec la violence dans la réalité considèrent la violence représentée comme quelque chose de totalement dérisoire par rapport aux individus qui ne l’ont jamais côtoyé. Et ce sont ces dernières personnes qui, elles, désirent voir cette violence fictive. A quelques variations près, le même discours peut être tenu au sujet du sexe. Mais tout ce que je dit là reste superficiel et on aurait besoin de l’avis des sociologues, voire des psychiatres, pour analyser cet attachement du spectateur à la représentation de la violence et du sexe à l’écran.

« La violence est la sage-femme qui aide la nouvelle société à naître des entrailles de l'ancienne », je te cite Marx …

Là tu m’attaques de front. Je considère que toutes les révolutions sont vouées à l’échec, aucune n’a réussit à atteindre les objectifs qu’elle s’était fixée, toutes ont dû accepter des compromis qui les ont dénaturés, de la Révolution Française à la révolution soviétique, pour ne rien dire de Mao, Castro ou Pol Pot. Mais Marx parle là d’une situation générale et, en ce sens, il a raison.

« Les rapports entre époux, la sincérité de certaines situations, la frigidité féminine due à des comportements contestables dans le domaine du sexe, les tabous qui font éclater certains ménages ; j’ai sorti le serpent de son repaire, je l’ai brandi publiquement et, en faisant cela, je l’ai clairement désigné comme quelque chose de dangereux », ce sont tes mots quant, en 1968, tu as présenté Brucia ragazzo brucia …

Le sujet du film était totalement inédit : l’orgasme féminin. Qui en parlait à l’époque ? Presque personne, et puis, dans les années qui suivirent, presque tous les magazines se sont penchés dessus. Aujourd’hui on nous explique précisément ce qu’il faut toucher, comment nous devons nous comporter, mais, à l’époque, ne serait-ce déjà qu’oser aborder ce thème paraissait impensable, et moi j’étais un peu inconscient. Françoise Prevost interprète le rôle d’une femme qui n’a jamais eu l’occasion d’avoir un orgasme et dont le mari n’entretient avec elle que des rapports sexuels simples et occasionnels, des rapports plutôt « bourgeois » (à savoir des rapports dans lesquels on évite de faire certaines choses avec la femme). Et puis, à l’occasion d’un séjour à la mer, cette femme va rencontrer un jeune étudiant, surveillant de plage pour l’été. Ils en viennent à faire l’amour et le jeune homme lui fait découvrir l’orgasme. La femme confesse alors son infidélité à son mari et lui demande innocemment pourquoi elle n’a jamais connu le plaisir avec lui – le titre français du film était justement : Pourquoi pas avec toi ? …

… Par contre le titre italien – excuse –moi si je t’interrompe – il fait référence à …

… le mari traite alors sa femme de pute, lui déclare qu’il va l’empêcher de revoir sa fille et, adoptant ainsi l’attitude typique du bon bourgeois, la pousse au seuil du désespoir en rejetant sur elle toutes la faute. En fin de compte, il la culpabilisera au point qu’elle décidera de se suicider. Présent lors de son passage à l’acte, son mari choisira de ne pas intervenir et de la laisser mourir … Pourtant la femme n’aimait pas vraiment ce jeune homme rencontré sur la plage, elle avait seulement fait l’expérience de sensations nouvelles qui lui avaient fait découvrir le plaisir et elle aurait sans doute souhaité retrouver ça au sein de son couple ; en fait elle aimait son mari et c’est avec lui qu’elle souhaitait « jouir » (et ça, c’était indéniablement un concept nouveau dans le cinéma). Le jeune maître nageur qui, avec sa petite amie, multipliait les expériences érotiques afin de donner envie à l’héroïne de s’essayer à ces choses nouvelles, était un pur produit de 1968, de la contestation, porteur de valeurs nouvelles et assumant totalement sa sexualité, soit un personnage totalement atypique dans le cinéma d’alors. Mais tout ça s’alignait parfaitement sur ce qui était en train d’arriver dans le monde à cette époque. Et le film a en effet connu un énorme succès critique et public. La façon même de tourner et de raconter l’histoire était très ancrée dans cette période : beaucoup de prises de vue faites à la main, de plans inhabituels et des dialogues très crus … Tu ne m’as pas interrompu. Je ne voulais pas éviter ta question : Brucia ragazzo brucia (Brûle, garçon, brûle) était en fait le cri - plus qu’une référence - lancé par les jeunes noirs lors de la révolte du ghetto de Watts en Californie, en 1964.

Brucia ragazzo brucia t’a valu un procès pour obscénité ...

Il est clair que le film était très osé pour l’époque, mais j’ai été acquitté et la meilleure critique sociologique que j’ai reçue m’est d’ailleurs venue de l’accusation lors de ce procès. Ecoute plutôt : « Le fait de voir régulièrement la poitrine entièrement dénudée des deux actrices principales, ainsi que le fait d’entrevoir partiellement les rapports sexuels entre le maître-nageur et la protagoniste, ne représente pas une fin en soi et n’a pas pour but d’exciter le désir sexuel. En revanche, cela participe à l’élaboration d’une thèse ayant pour but d’analyser sous l’angle moral et idéologique le drame d’une femme victime d’une certaine conception, limitée, étroite et parfois fausse, de l’acte sexuel au sein du cercle familial et de la société».

Tu as eu quelques ennuis sur tes deux premiers films ?

Pas en ce qui concerne Roses rouges pour le Führer, c’était un film de guerre classique, pas particulièrement violent, et il n’y avait aucune scène de sexe explicite à l’intérieur. Par contre cela ne s’est pas passé aussi bien pour Un Posto in paradiso, mon sketch de Gli Eroi di ieri, oggi, domani où il a même fallu demander au quotidien L’unita (1) de prendre notre défense. Il s’agissait d’une comédie qui s’attaquait à l’église et à toutes les institutions gravitant autour d’elle, et on a été accusé de tous les maux par ces gens. Le film était sans parti pris, indépendant et laïc, mais il avait malheureusement le tort d’oser employer l’humour comme ligne d’attaque.

Tu as dû faire des coupes pour que Brucia ragazzo brucia soit mis en circulation ?

Non, suite au procès je n’ai eu aucune coupe à faire dans le film. Par contre il y en avait eu avant de le présenter au comité de censure, celle-ci s’étant dès le départ manifestée pour nous pousser à pratiquer des coupes. Le but était d’assombrir les scènes les plus osées, même si le rendu à l’écran était épouvantable. Il y a aussi eu quelques coupes visant à atténuer la présence des corps nus dans le film ainsi qu’une intervention plus importante sur la scène où le maître-nageur lèche le sexe de l’héroïne. Françoise Prevost, qui était une bonne actrice et une femme intelligente, m’avait par ailleurs fait remarquer qu’il lui avait fallu atteindre l’age de 40 ans pour tourner de telles scènes et qu’on ne lui avait jamais proposé de rôles de ce type lorsqu’elle était plus jeune ... Je le répète, le sujet de Brucia ragazzo brucia avait fait scandale parce qu’on y parlait de l’orgasme féminin comme d’un véritable droit de la femme. Aujourd’hui, le féminisme a fait du plaisir chez la femme une véritable cause et les magazines apprennent même aux femmes à se masturber. Mais ce film date de 1969, il y a plus de 30 ans, et à l’époque certaines choses étaient encore taboues.

La peur de la censure ne t’a t’elle jamais poussé à t’autocensurer ?

La censure te posait alors deux types de problème : un sur le sexe, le second sur le contenu. Chaque fois que j’ai eu à tourner des scènes de sexe, je me suis réfréné, et j’aurai vraiment souhaité être beaucoup plus explicite. Je ne me suis en revanche jamais restreint dans le domaine du contenu, j’ai toujours dit mon opinion de façon assez virulente, non pas parce que je suis quelqu’un de virulent mais parce que cette virulence était alors partout, et me taire aurait en outre signifié trahir ma véritable nature d’auteur. Regarde comme j’ai essayé d’apporter un contenu social à des films de genre comme Milan Calibre 9, Il Poliziotto è marcio, Il boss, L’empire du crime ... Ces films sont des visions de la société italienne, ce qui les entraîne au delà de leur nature de film de genre.

Brucia ragazzo brucia s’ouvre sur un rêve de l’héroïne, dans lequel elle embrasse une autre femme, interprétée par Eleonora Ruffo …

… Françoise m’a avoué plus tard, en privé, n’avoir jamais vu une femme aussi belle qu’Eleonora Ruffo. Ce rêve peut s’interpréter comme une extension de la sexualité du personnage principal, étant donné que son mari ne la satisfaisait pas. Ce rêve ne signifie pas qu’elle est frigide mais que son homme n’est pas capable de la faire jouir. Il y a là une allusion à la conception de l’accouplement dans la société bourgeoise, venant nous rappeler que, dans ce milieu, on se refusait à faire découvrir à la femme les joies du sexe.

Et puis, dans le film, il y a plusieurs scènes entre l’héroïne et la petite amie du maître nageur, Monica Strebel : le thème de l’homosexualité féminine est fortement ancré dans ton œuvre, de tes premiers films jusqu’à ta production littéraire la plus récente …

Plus récente !! … en réalité cela concerne des publications littéraires, Le donne preferiscono le donne et Quello che volevano sapere due ragazze perbene, écrites il y a des années, mais ce sont des romans qui faisaient peur aux éditeurs.

Monica Strebel, tu as également travaillé avec elle sur le film Les Insatisfaites poupées érotiques du Pr. Hitchcock dans lequel elle interprète une infirmière lesbienne réussissant à séduire une femme, jouée par Jane Garret, qui est hétérosexuelle au départ mais cède aux avances qui lui sont faites car s’avérant « inconsciemment bisexuelle » … Que penses-tu de mon analyse ?

Cette analyse me convient parfaitement, mais je voudrais aller plus loin : toutes les femmes sont bisexuelles inconsciemment, beaucoup plus que les hommes. La bisexualité fait partie de notre nature. Il y a ensuite ceux qui la pratique et ceux qui ne la pratique pas, mais je suis convaincu que c’est un phénomène qui est appelé à s’étendre dans les années à venir. Et j’espère que le cinéma saura traiter de celui-ci.

Les Insatisfaites poupées érotiques du Pr. Hitchcock, tu ne l’aimes toujours pas, ce film ? Même en sachant qu’il est devenu une œuvre culte sur une bonne moitié de la planète …

Là, tu me fais passer pour Ed Wood …Blague à part, aucun de mes films, même ceux qui, objectivement, sont des réussites, ne me plaisent aujourd’hui. J’imagine que cela arrive à tous les auteurs en fin de carrière. Pour en revenir aux Insatisfaites poupées …, je savais à l’avance, pour en avoir écrit le scénario et parce que j’abordais là un univers inhabituel pour moi dans lequel je ne me retrouvais pas, qu’il ne s’agirait pas d’un chef d’œuvre. Et puis il y a trop de films, de choses, qui sont devenus « cultes » au cours de ces dernières années, bien trop pour prendre ce terme en considération.

Mais Les Insatisfaites poupées … ne sont pas nées de toi …

C’était alors la grande période de Dario Argento. J’ai donc reçu un coup de fil de mon ami le producteur Ermanno Curti, qui m’a demandé de lui confectionner le plus rapidement possible ce que l’on appelait à l’époque un « Argentata ».Et voilà pourquoi j’ai fait Les Insatisfaites poupée érotiques du Pr. Hitchcock et Duccio Tessari Une Farfalla dalle ali insanguinate. Avec peu d’argent et en peu de temps.

Il est étonnant de voir que tout, dans ce film, est amplifié et verse dans un paroxysme délirant …

Une fois mis face au projet et ne possédant pas la capacité de Dario Argento à croire en l’absurde, je me suis placé dans une perspective hyperréaliste. Retenons quand même que, dans cette clinique pour malades mentaux, on trouve des armes blanches exposées dans le grand salon à la portée de tous (armes avec lesquelles auront lieu la plupart des homicides). Je me suis également inspiré des romans d’Agatha Christie, à travers ce personnage d’assassin qui tue plusieurs personnes pour faire croire qu’un maniaque sévit à l’intérieur de l’institut et, une fois sa femme assassinée, éviter ainsi d’être suspecté. Tout cela était en fait très évident, d’une banalité virant presque au crétinisme. Mais l’ensemble était censé reposer sur un rythme qui ne donnerait pas au spectateur l’occasion de réfléchir. Est-ce que j’ai réussi ? Dans la limite des maigres ambitions de l’ensemble, oui …Car le spectateur ne se demande pas pourquoi les armes des crimes se trouvent, de façon aussi stupide, à la disposition des fous ni pourquoi l’assassin, lorsqu’il est découvert, massacre les infirmières (cette séquence, qui est plutôt bien faite, fut entièrement filmée à l’épaule). Le film a été tourné en deux semaines, soit en à peine plus de temps qu’une production Roger Corman. Ce n’est pas un film dont je suis très fier, il n’a pas beaucoup rapporté même si, comme on dit dans le jargon du cinéma, on a « sauvé les meubles ». Mais ce n’est pas non plus un film que je renie, ce qui n’aurait aucun sens vu que j’ai tout de même réalisé une œuvre qui, au départ, devait être une sorte de thriller à la Dario Argento et, à la fin, ressemble malgré tout à, si tu me permets l’expression, un thriller à la Di Leo.

Il circule à l’étranger des versions plus osées des Insatisfaites poupées érotiques du Pr. Hitchcock que celle sortie en Italie. Il parait même qu’on y a glissé en France des séquences hard-core …

J’en ai entendu parler mais, personnellement je n’ai jamais vu ces versions. C’était une pratique courante en Italie, de couper les scènes les plus explicites. Tout cela dépendait des convictions religieuses des gérants de salles, voire des distributeurs. Une fois que la copie était entre leurs mains, ni le réalisateur ni même le producteur ne savaient ce qu’il allait advenir du film. On était tous soumis à ce type de pression, mais c’était encore plus fréquent dans le cinéma bis, considéré comme mineur. Regarde par exemple les dégâts que cela a causer à une œuvre sortant de l’ordinaire comme Avere vent’anni.

On sait bien que [le remontage d’Avere vent’anni] se réalisa dans ton dos. Toi, tu n’as jamais su qui a démonté et remonté ton film dans sa nouvelle version ?

Je dois t’avouer que je m’attendais à rencontrer un gros succès avec Avere vent’anni. Je reconnais que ce n’était pas un grand film. Mais il était courageux, audacieux, animé d’une certaine conscience sociale, avec des acteurs pour la plupart plutôt bons ; et ce fut un fiasco presque intégral. A qui doit t’on cette tentative de récupérer une part des recettes espérées pour ce film ? Aux gérants des salles de cinéma qui ont coupé le rebondissement tragique final pour terminer le film sur la séquence de danse au café. Au producteur qui s’est heurté aux réclamations des distributeurs. Au public qui sortait du film choqué parce que deux jeunes starlettes connues finissaient massacrées sous ses yeux. Maintenant, qui a matériellement démonter et remonter le film, ça je n’en sais rien. Mais je crois qu’ils s’y sont mis à plusieurs, comme cela se faisait habituellement. Ils ont aussi retiré une belle scène de lesbianisme du film : les deux héroïnes commençaient à faire l’amour avec deux garçons, mais les deux gars éjaculaient tout de suite en laissant les filles insatisfaites. Par besoin plus que par vice – vice n’est pas le terme adéquat, mais il ne m’en vient pas d’autres sur le moment – les deux filles continuaient à se donner réciproquement du plaisir, et cela constituait presque une découverte pour elles.

Tu avais quand même placé beaucoup d’espoirs dans ce film ?

J’avais amassé un tas de notes pour un éventuel scénario bien avant de décider de faire le film : anecdotes, scènes, articles de journaux, considération d’ordre social sur le féminisme, la période précédant le féminisme, le post-féminisme, la fin du mouvement hippie et la faillite des modes de vie en communauté … bref, tout ce qui se rapportait à ces phénomènes de par le monde. Et, à partir de là, j’ai pu tracer les grandes lignes de mon intrigue : deux jeunes filles « libérées » vivent de façon « libertine » dans un monde qu’elles s’imaginent ouvert à leur mode de vie et finissent assassinées pour avoir revendiqué cette liberté, dans ce monde qui, finalement, n’était pas encore prêt à les accepter … L’enjeu était donc important, comme souvent dans mes films (et le résultat, comme toujours dans mes films, était nettement inférieur à ce que j’aurai souhaité) et je ne pense pas avoir été à la hauteur. Les deux filles, interprétés par Gloria Guida et Lilli Carati, avaient le physique parfait pour ces rôles mais malheureusement n’étaient pas de très grandes actrices (ce film, je n’aurai de toute façon pas pu le tourner avec deux actrices inconnues, aussi talentueuses soient-elles). Elles ont néanmoins donné le meilleur d’elles-mêmes pour moi : balançant des obscénités, tournant des séquences érotiques avec des hommes, des femmes ainsi qu’entre elles, exécutant des numéros de danse très sensuels. Vraiment elles ont été aux limites de leurs capacités, aidées par Vittorio Caprioli, Giogio Bracardi, Leopoldo Mastelloni, mais l’étincelle ne s’est pas produite. Les séquences érotiques ne fonctionnent pas, l’ensemble manque de vie et il se dégage du film une impression de superficialité. Le thème de la transgression - ce qui m’intéressait le plus dans cette histoire - ne dépasse jamais le stade de l’anecdote ; le « monde » contre lequel se battent les filles n’a pas la prégnance misérable suffisante pour contraster avec l’idéologie du film. En somme, je me suis trompé à 50 % sur le scénario et à 50 % dans la réalisation ; je n’ai pas été à la hauteur : je pensais avoir créé quelque chose de neuf et je me suis aperçu que j’avais fait quelque chose de vieux ; d’irritant. J’ai tenté pendant le montage du film d’oublier tout ce que j’avais voulu dire pour faire un produit plus modeste. Mais même comme cela, Avere Vent’anni était une pierre jetée dans l’eau : juste un petit film porno-sadique, avec seulement quelques bonnes idées ici et là, et rien d’autre … Plusieurs séquences sont réussies, certaines situations aussi, mais un film, cela se juge dans son ensemble et non sur des passages isolés. Ce projet m’a complètement échappé.

Pourquoi ?

Je n’ai pas cherché à le savoir et encore aujourd’hui je ne souhaite pas le savoir, même si j’y repense de temps en temps. Le public a ignoré le film, les critiques n’étaient pas bonnes et moi-même j’ai capitulé. Et pourtant de nombreuses choses me plaisaient dans cette histoire lorsque je l’ai écrite, comme par exemple cette longue scène finale dans laquelle les filles dansent et excitent une bande de lascars sans toutefois aller plus loin avec eux, contrairement à ce que leur comportement pouvait laisser imaginer, et se font ensuite traquer par eux dans la forêt. Je trouve que c’était une très bonne scène. Ce qui se rapportait à Nazariota (un petit escroc qui faisait preuve d’une mauvaise fois absolue dans sa gestion d’une communauté hippie) était également assez réussi même si son interprète, Vittorio Caprioli, était en deçà de son niveau habituel. Mais … même Giorgio Bracardi, qui interprétait un commissaire néo fasciste en décalage totale avec la jeunesse d’aujourd’hui, avait de bonnes répliques, comme tous les autres interprètes du film en fait. C’était probablement uniquement de ma faute : je ne pense pas avoir évalué de façon objective le problème ou l’ensemble du problème alors que le film avait la prétention de l’exposer, de l’illustrer et de faire prendre conscience de celui-ci au public. Peut être aussi que ce que je voulais dire sur ce film n’intéressait que moi et que je n’ai pas même pas cherché à le modeler pour que le public puisse s’y intéresser aussi. Peut-être aussi que ce qui m’intéressait n’intéressait personne d’autre. Ou bien encore, plus simplement, que l’ensemble n’avait pas la signification que j’aurai voulu lui donner. Aujourd’hui, avec beaucoup de recul, je remarque qu’il n’est jamais bon d’être trop sûr de soi dans le domaine de la réalisation, qu’il faut éviter de penser que l’on peut tout résoudre sur n’importe quel film, même lorsqu’on croit servir le cocktail parfait au public. Au cinéma, la sécurité n’est jamais une bonne chose, il vaut souvent mieux que celle-ci fasse défaut.

Entre 1970 et 1971, tu as écrit et entamé la réalisation de Uno di quelli, dans lequel tu parlais de l’homosexualité masculine …

… Et dans lequel, en me situant encore à contre-courant des conventions dite bourgeoises de l’époque, j’évitais de sombrer dans le pittoresque et décrivais le quotidien d’un garçon, interprété par Peter Tracy, qui découvre peu à peu sa sexualité. Je brossais toute la tempête intérieure que déclenche cette découverte, avec les conséquences évidentes dans la vie de tous les jours et les rapports avec les autres qu’une prise de conscience comme celle-ci peut entraîner. Ce devait être une histoire très réaliste, même s’il fallait pour cela frôler constamment le sordide. Voilà comment je voulais réaliser le film, à la façon d’une photographie de l’existence d’un homosexuel, sans idéalisation ni apitoiement comme c’était généralement le cas dans la description de ce type de personnage au cinéma. Aussi, quand tu vois l’optique choisie pour ce film, tu comprends vite pourquoi cela a été un naufrage total.

Tu as une idée de ce qu’il est advenu de tout ce que tu as filmé et de combien de temps cela durait ?

Non, j’ai tourné en Telecolor … J’ai juste réalisé quelques scènes.

Amarsi male, que tu as réalisé juste après Brucia, ragazzo brucia, a changé plusieurs fois de titre – Camille 2000, Traviata ’70, Brucia, amore brucia – et a vu défiler plusieurs actrices pour le rôle principal - Anna Maria Pierangeli, Lucia Bosé - avant que le choix ne se porte sur Susan Scott …

Amarsi male devait être un film beaucoup plus ambitieux. Mais je me suis complètement fourvoyé. En essayant de traiter du problème des jeunes et de mai 68 je n’ai réussi qu’à me vautrer dans la rhétorique la plus grossière. Tout ce que j’avais dit de vrai et d’important dans Brucia, ragazzo brucia devenait ici bavard et sentencieux. En revanche le film était beaucoup plus fort idéologiquement et beaucoup plus engagé. Le premier avait rencontré un beau succès en salles et cela m’a aveuglé dans la préparation du second, qui n’a jamais fonctionné. Le point de départ de l’intrigue était totalement différent mais je me situais globalement dans la même ligne idéologique que Brucia, ragazzo, brucia et je pense que c’est ce qui m’a empêché de faire quelque chose de bon. Tout ce qui, dans Brucia, ragazzo, brucia, était douloureux et féroce devenait ici lisse et amusant. On ne ressentait pas l’importance du contexte dans lequel se déroulait l’histoire et cela finissait d’anéantir la portée de tous les messages présents dans le film. Vraiment, je n’ai pas réussi à faire décoller Amarsi male, je l’ai totalement raté.

Et Susan Scott … ?

C’était Nieves Navarro. Je l’avais connu sur les films de Duccio Tessari Un Pistolet pour Ringo et sa suite, Il Ritorno di Ringo. Evidemment, il me fallait la promouvoir et, vu qu’à l’époque les comédiens espagnols, personne ne voulait en entendre parler – Il a fallu attendre l’arrivée d’Almodovar pour que les acteurs espagnols commencent à intéresser les producteurs et distributeurs italiens – j’ai donc dû lui changer son nom. Nieves était une femme sensible et intelligente.

L’érotisme est un élément indissociable de ton oeuvre, un élément prépondérant … et je pense ici tout particulièrement à La Seduzione. Avec ce film, tu abandonnes momentanément le cinéma d’action pour revenir aux thématiques de Brucia, ragazzo, brucia et d’Amarsi Male …

Ce n’était pas quelque chose de calculé. C’est arrivé comme ça, c’est tout. On m’a proposé de lire le livre d’Ercole Patti, Graziella. Comme d’habitude, j’avais repéré dans cette histoire les éléments qui me plaisaient. Quant à ce qui, à mes yeux, manquait, je l’ai ensuite rajouté moi-même, ainsi que je l’ai l’habitude de le faire. Patti ne participa pas à l’écriture du scénario mais il fut heureux du résultat et estima que « l’esprit » du livre était respecté. Ce qui n’est que partiellement vrai car certains aspects du livre propres à l’univers de Patti ne se retrouvent pas à l’écran comme le caractère typiquement sicilien de l’histoire. J’ai volontairement atténué cette caractéristique du récit car il me fallait répondre à certaines exigences vis-à-vis de la distribution du film. Je parle là de Lisa Gastoni. J’ai donc écrit moi-même le scénario mais, pour elle, j’ai dû ensuite faire appel à une femme, Luisa Montagnana, pour donner davantage de style, de personnalité à certaines de ses scènes. Avant d’obtenir Lisa Gastoni, qui ne fréquentait plus les plateaux de tournage depuis plusieurs années, il m’a fallu batailler avec les responsables de la distribution, opposés à ce choix. J’ai finalement eu le dernier mot et j’ai pu la faire travailler avec moi. Et je dois avouer qu’elle s’est révélée très bonne dans le rôle de la mère souffre douleur. Pour interpréter Graziella, j’avais choisi et mis sous contrat Ornella Muti, mais Lisa Gastoni ne la voulait pas à ses côtés. Ornella Muti était déjà une superbe créature à l’époque, mais Lisa Gastoni aussi était une très belle femme … J’ai donc payé Ornella Muti et l’ai remplacée par Jenny Tamburi. Malheureusement ce changement impliquait d’importantes modifications au sein du récit car Jenny Tamburi étant indiscutablement moins belle qu’Ornella Muti, son travail de séduction se devait d’être beaucoup plus élaboré afin d’arriver à convaincre Maurice Ronet de coucher avec elle. Alors que vouloir coucher avec Ornella Muti était quelque chose d’évident à faire accepter au spectateur …

Et le choix de Maurice Ronet ?

Ce choix s’imposait, au niveau de l’age, du physique. Il était taillé pour ce rôle : celui d’un séducteur éternel, d’un bouc émissaire. Mes rapports avec Maurice furent très amicaux : il voulait toujours parler politique mais mon français est médiocre et, comme c’est un sujet qui réclame une réflexion poussée, ce n’était pas possible de discuter de ça. Le soir, il buvait beaucoup, moi je buvais moins. Pino Caruso était une autre personnalité forte présente dans le film, un acteur bourré de talent mais qui n’a jamais trouvé la place qu’il méritait dans le monde du spectacle. Il y a une scène vraiment réussie dans le film : celle de la séduction entre Jenny Tamburi et Maurice Ronet. Je pense qu’on peut la placer parmi les meilleures réalisées dans le domaine de l’érotisme au sein du cinéma européen de l’époque (comme dans le cinéma américain qui, lui, ne s’intéresse pas vraiment à ça. Ailleurs il n’y a guère que le Japon qui soit familier avec la représentation de l’érotisme à l’écran … et puis la France qui, de temps en temps, réussit des choses bien dans ce registre). Même si La Seduction a été mon plus gros succès commercial, je ne le considère pas comme quelque chose de très important dans ma carrière, je pense seulement à ce film avec « affection ».

Avec Lisa Gastoni, par contre, il y eu quelques heurts …

La vérité, c’est que c’était une femme névrotique peu sûre d’elle qui avait peur de ne pas être à la hauteur pour son retour à l’écran. Elle n’avait pas confiance en elle, n’était pas sure de pouvoir interpréter ce personnage, et doutait des compétences de Franco Villa qu’elle jugeait uniquement capable de photographier des films d’action. Et, entre deux crises de larmes, elle cherchait querelle à tout le monde, y compris à moi une fois. C’est le film achevé, au moment de doubler les voix, qu’elle s’est rendue compte que La Seduzione était un grand drame populaire qui risquait de rencontrer un gros succès. Et en effet le film rapporta beaucoup, ce qui lui offrit la possibilité de tourner encore 3 ou 4 films dans la foulée. Que peut-on dire d’autre ? Que Lisa Gastoni était une actrice de caractère mais aussi une femme très fragile qui aurait sans doute pu devenir une star en Amérique et qui en Italie s’est seulement débrouillée du mieux qu’elle a pu.

Ce film marque aussi le début d’une jolie carrière pour Jenny Tamburi …

Jenny a tourné beaucoup de films après le mien. Je me rappelle lui avoir conseillé à l’époque de se calmer un petit peu mais, pour des raisons financières, elle ne m’a pas écouté. Cela explique la brièveté de son succès.

Qui était cette fille qui interprétait l’amie de Graziella, Barbara Marzano, et ou l’avais-tu trouvé ?

Elle était splendide. C’était la fille d’un journaliste, un homme particulièrement laid. Une beauté pulpeuse, ainsi qu’on peut le voir dans sa scène déshabillée. Si je me rappelle bien, elle tenait une boutique rue Sistina (Célèbre artère de la capitale romaine).

Parle-moi de ton initiation au genre policier, au roman et film noir. Quelles ont été tes influences littéraires et cinématographiques dans ce domaine ?

Mon premier contact avec la littérature, dans les années 50, ce fut à la fois Sartre et Hemingway, Camus et Faulkner. Puis, en lisant l’œuvre autobiographique d’André Gide, j’ai découvert Hammett, un auteur de roman policier que Gide estimait beaucoup. Et comme j’avais moi-même beaucoup d’estime pour Gide, je me suis tout de suite mis à la recherche de ses écrits. Dans ces mêmes années, au cours de la longue période de l’après-guerre et du boom économique, les films américains ont débarqué en masse dans les salles italiennes, des films policiers ou d’action et des films noirs que j’appréciais en tant que spectateur et qui inconsciemment auront une influence sur mes futurs choix de réalisateur. Hathaway, Wise, Huston étaient à cette époque mes cinéastes préférés parce qu’ils arrivaient, eux mais aussi Kazan, Lumet, Lang et Aldrich, à socialiser certaines des thématiques qu’ils traitaient, Mais les Français ne leur étaient pas inférieurs dans le mélange de film policier, de film d’action et de film noir : regarde Du Rififi chez les hommes, Touchez pas au grisbi, Les Diaboliques. En Italie, on ne touchait pas à ça. Il n’y a guère que Le Bandit d’Alberto Lattuada et Au Nom de la loi de Pietro Germi que l’on peut citer lorsque l’on cherche quelque chose se rapprochant à peu près de tous ces films français et américains. Etrangement, le film policier et le film noir étaient encore des genres peu explorés en Italie et, encore plus étrangement encore, c’est le poliziottesco, comme on l’a surnommé, qui a marqué fin de ce cinéma de genre. On a eu les péplums, les westerns, les musicarelli, les films d’horreur, la comédie à l’italienne. Ensuite est venu le tour du poliziottesco et après cela, l’industrie n’a pas réussi à se renouveler, n’a pas su revisiter d’autres genres, et c’est pour ça qu’elle est morte. Le poliziottesco, après s’être substitué au western spaghetti, a connu sa propre vie. Mais il y avait eu quelques antécédents à cette vague : les films de Carlo Lizzani et ceux de Mino Guerrini, Omicidio per appuntamento et Gangster ’70, que j’avais tous deux écrit. Le mérite d’avoir oser se frotter à ce genre revient à Mino Guerrini, - les films de Lizzani avaient eux une approche plutôt documentaire, ils étaient bâtis sur d’authentiques faits divers. Ces essais allaient à l’encontre des attentes des distributeurs, qui pensaient alors qu’on ne pouvait pas faire ce type de film à Rome. On ne va pas rentrer dans les détails mais on était alors dans ces années où régnait la bande de la Magliana, un groupe de délinquants qui gérait l’ensemble des branches du crime organisé, du kidnapping à l’extorsion de fonds, avec toutes les luttes de pouvoir et les règlements de compte internes que cela entraîne … comme dans un film, en somme.

I Ragazzi del massacro nous amène à évoquer le premier volet de la série de films policiers à message que tu as dirigé. Nous étions en 1969 et personne n’avait encore fait un film comme celui-ci en Italie ...

Ce film est également une aventure idéologique au départ, tout comme Brucia, ragazzo brucia : je voulais montrer une certaine réalité italienne, celle de la dégradation des conditions de vie du prolétariat vivant en périphérie des grandes villes. A une époque où la drogue n’était pas encore une substance largement répandue dans la rue, la délinquance organisée posait ses premières tentacules sur les périphéries en ciblant une jeunesse qui ne connaissaient encore rien de tout ça. Ce film était un cri d’alarme, un cri lancé au bon moment. Je me demande d’ailleurs si celui-ci n’était pas l’appel le plus important lancé au cours de la révolution de 1968.

Quel a été ton rapport au texte d’origine. Qu’est ce qu’il reste – s’il reste quelque chose – de Scerbanenco dans ton film ?

Le livre de Scerbanenco m’a servi de base de travail, c’est ce qui m’a donné l’idée de faire le film. Les coupes que j’ai opérées suppriment évidemment pas mal de choses tout en mettant l’accent sur le côté noir de l’intrigue. Le personnage principal a été retravaillé : il est devenu dans le film un jeune commissaire débarrassé des caractéristiques romantiques désuètes que lui avait attribué l’auteur. Le choix des acteurs lui aussi s’éloigne du texte de Scerbanenco. J’ai tout repensé en rapport avec le discours que je voulais faire passer, en éliminant le côté moralisateur du roman, qui me gênait un peu. J’avais bien senti que l’on se diriger tout droit vers une société dans laquelle la notion de classe sociale tendait à disparaître et il me semblait inutile d’insister sur cet aspect en particulier. Cela n’est jamais facile d’adapter un roman à l’écran. En revanche, lorsque tu t’inspires d’un roman pour réaliser un film, tu es plus libre, tu peux faire passer le discours que tu veux, en prenant ce qui t’intéresse dans le livre et en laissant de côté le reste. Tu ne te poses plus la question du respect ou de la trahison envers le texte, tu n’as d’exigences qu’envers ta propre réalisation. Il est vrai que chez Scerbanenco les actions sont fortement ancrées dans un contexte social très réaliste, ses histoires se situent généralement dans des banlieues ouvrières pauvres. Mais ce que Scabernanaco n’a pas pris en compte dans son récit, c’est la « mobilité » de cette situation. Ses descriptions sont « fermées », déjà vieilles. Elles ne suivent pas l’évolution de la société. Mon film ne montre pas le Milan décrit par Scerbanenco car je voulais faire passer un autre message, je voulais montrer ce que notre jeunesse était en train de devenir, ce que nous allions devoir affronter. Il va sans dire que c’est notre comportement qui les a privé de valeurs morales et que c’est au départ la crise morale des adultes qui s’est transformée en crise de la jeunesse. Et moi, dans ce film, je m’interroge sur ce que l’on doit faire. Aujourd’hui, il me parait évident que cette bataille, si jamais elle a commencé, a été perdue puisque ensuite est arrivée la drogue et que le phénomène de la délinquance juvénile s’est développé dans des proportions inimaginables auparavant. La politisation de ces problèmes n’a duré qu’un temps, tout cela s’est noyé dans une certaine confusion idéologique et les tragédies du type de celle racontée dans le film ont fini dans les colonnes faits divers des journaux. Dans ma filmographie, Il Ragazzi del massacro est un film important parce que j’ai osé prononcer un discours et délivrer un message qui, je le savais, ne pourraient pas être totalement compris sur le moment. Et, malgré ça, j’ai quand même tenu à faire ce film, en m’entourant qui plus est d’interprètes inconnus et d’un acteur principal aussi « neuf » que Pier Paolo Capponi.

Capponi, tu l’as littéralement inventé …

Pier Paolo venait du film des frères Taviani, I sovversivi, tout comme Lucio Dalla. J’ai changé sa vie, parce que ce n’était alors plus un acteur très recherché. Il avait alors quasiment dit adieu au cinéma.

Tu as défini un jour Il Ragazzi del Massacro comme « un film avec du bon cinéma » : tu as donc l’habitude de faire la distinction entre « film » et « cinéma » …

C’était un film coup de poing. La photographie était très crue, les séquences d’interrogatoire filmées de façon très réaliste, la tension psychologique était constante et le rythme très soutenu jusqu’au bout. Il y avait également une séquence particulièrement travaillée au niveau de la réalisation, celle du viol de la jeune institutrice. Nous l’avons tourné sans jamais que l’actrice ne soit touchée par ses partenaires à l’écran, en élaborant tout un jeu de mouvements de caméra. Il n’y eu aucun contact physique sur le tournage entre les interprètes … rien, seulement des mouvements d’appareil. Le résultat est d’une telle violence à l’écran – remis évidemment dans le contexte de ce qui se faisait alors en Italie en la matière – que lors de la première du film certaines spectatrices se sont évanouies.

A propos des femmes, je crois que tu as été le seul en Italie à diriger un film policier mettant en scène une héroïne féminine, Colpo in canna …

Le scénario de Colpo in canna existait bien avant qu’on ait l’idée de proposer le film à Ursula Andress. C’était un sujet que j’avais écrit avec Enzo Dell’Aquila, et, de façon stupide et grossière, j’ai oublié de faire figurer son nom au générique, ne serait-ce que comme co-auteur du sujet. L’idée centrale, plutôt bonne, était la suivante : créer un personnage féminin se comportant comme un homme, c'est-à-dire possédant les même caractéristiques comportementales qu’un personnage masculin telles que par exemple recevoir et donner des coups, se comporter sexuellement de façon libertine, faire des choix ou prendre des décisions habituellement associés au sexe masculin, du moins au cinéma en tout cas. L’idée était donc de décrire un certain type de femme, celui de la génération post 1968, qui a progressivement continué à s’émanciper et obtenir de nouveaux acquis. Mais j’ai aussi voulu tenter quelque chose de plus : j’ai imaginé qu’Ursula entretenait une liaison avec sa collègue, un femme de couleur. Voilà ce que je voulais proposer : une femme bisexuelle qui non seulement couche avec les hommes qui lui plaisent mais rattrape ensuite le temps perdu avec sa petite amie. Mais on m’a demandé d’éliminer cet aspect de l’intrigue pour des questions de cohérence scénaristique et comme j’ai l’habitude de m’incliner lorsque les remarques que l’on me fait me semblent justifiées, et bien, de la même façon que j’avais précédemment accepté de remplacer Ornella Muti par Jenny Tamburi sur La Seduzione, j’ai supprimé tout ça. De toutes façons, si j’avais donné au personnage d’Ursula de telles caractéristiques, le public ne l’aurait ni compris ni accepté parce qu’à l’époque les mots et concepts de bisexualité étaient complètement inconnu …à l’époque, selon toi, combien de romains savaient que certaines femmes pouvaient coucher aussi bien avec des hommes que des femmes ? Il faut toujours se demander ce qui est acquis et ce qui ne l’est pas. Je n’ai pas fait le film ainsi parce qu’il serait devenu quelque chose de totalement différent. J’ai conscience de l’existence de l’autre et je pense qu’il faut le respecter. On peut toujours ajouter quelques innovations ou provocations, mais sans faire pour autant basculer le film dans un tout autre genre.

Je défends Colpo in Canna avec son déstabilisant mélange d’âpreté et de légèreté. Tu es beaucoup plus critique envers ce film, pourquoi ?

Parce que placer cette idée dans un film presque parodique fut une erreur. Cela en gomme toute la thématique initiale et le comportement du personnage interprété par Ursula Andress devient un comportement « de film » beaucoup plus qu’un comportement réel, de la vie de tous les jours, porteur d’un message social comme je le souhaitais au départ. Ce n’était pas le film idéal pour faire passer le message que j’avais en tête et que l’on trouvait déjà dans Brucia, ragazzo brucia, à travers le personnage de la jeune fille, ainsi que dans Amarsi male, via celui de l’héroïne. Au moins ai-je réussi à faire conserver à Ursula Andress toute sa féminité pendant les séquences de bagarres, que se soit lorsqu’elle donne ou reçoit des coups. Dans le même ordre d’idées, je suis également satisfait de la façon dont elle prend dans le film toutes les initiatives érotiques, sans que cela ne revête un caractère exceptionnel. Mais, je le répète, ce sont des efforts qui, dans le contexte d’une comédie d’action comme Colpo in canna, sont passés inaperçus. Le résultat ne reflète pas les caractéristiques particulières que je souhaitais donner aux personnages. Si j’avais tenté quelque chose de diffèrent, un film un peu plus sérieux, avec toujours cette idée de femme s’appropriant un comportement masculin sans rien perdre de sa féminité et de son « honorabilité », il aurait pu en ressortir un discours fort ayant valeur de témoignage sur son époque …

Tu as répété à plusieurs reprises qu’Ursula Andress avait été une professionnelle exceptionnelle, très obéissante et très compréhensive face à tes demandes …

Ursula Andress était une femme extraordinaire, doublée d’une cascadeuse émérite. Il faut voir comment elle a réussi à conduire cette voiture dans les rue de Naples, c’était impressionnant ! Elle était incroyablement douée : par exemple, elle se jetait à terre sur de la pierre sans poser la moindre question. Je n’avais même pas besoin de lui demander, si c’était dans le script, elle le faisait. Elle n’a jamais accepté d’être doublée, se débrouillant toujours pour faire mieux que sa doublure. Elle était vraiment incroyable. Elle ne m’a vraiment apporté que de la satisfaction. C’est pour cela que, de mon côté, j’ai cherché à la remercier à ma façon, en lui rendant de petits services. J’ai par exemple fait venir son coiffeur de Londres, comme me l’avait demandé son agent, et pour les costumes j’ai dépêché la Mafai … En somme, j’ai consenti à d’importances dépenses rien que pour elle parce que je sentais bien que la pauvre traversait une période difficile. Sa carrière hollywoodienne était derrière elle et si je ne faisais pas quelques sacrifices financiers elle n’aurait peut-être pas tenu le coup. Je crois que je te l’ai déjà raconté, mais il me revient cette anecdote particulièrement savoureuse au sujet de l’agent anglais d’Ursula : Un jour, alors que l’on tournait à Naples, cet anglais s’est approché de moi pour me demander avec beaucoup de précautions dans le ton : « Mais est-ce qu’il y a un quartier européen dans cette ville ? ». J’ai trouvé ça grandiose.

C’est à la demande de l’agent d’Ursula que tu as abandonné pour ce film ton directeur de la photographie attitré Franco Villa pour travailler avec Roberto Gerardi …

… lequel avait illuminé tous les films de Sophia Loren et Vittorio De Sica. Je dois dire à ce sujet que Roberto Gerardi est lui aussi devenu par la suite l’un de mes plus fidèles collaborateurs. En fait, il a presque photographié tous mes films après Colpo in canna. Roberto Gerardi vous changeait la lumière d’un film à une vitesse exceptionnelle. Sa façon de travailler était très proche de ma façon un peu névrotique de tourner. Et je dois dire que le résultat me donnait toujours satisfaction, que j’aie réclamé au départ une lumière crue ou une lumière plus « hollywoodienne ». De plus, je filmais beaucoup à l’épaule, ce qui faisait généralement tourner en bourrique les directeurs de la photographie, et Roberto Gerardi était vraiment un maître dans l’art de diffuser la lumière … Je dois t’avouer que j’ai accepté de renoncer à Franco Villa uniquement parce que l’agent d’Ursula Andress avait d’excellents arguments. Nous avions en effet convenu de lui enlever quelques années « cinématographiques » et je savais que Roberto Gerardi était capable de faire cela. Et effectivement, dans Colpo in canna, elle ne fait pas plus de 30 ans alors que dans la réalité elle en avait dix de plus. Et c’est d’ailleurs à partir de ce film qu’Ursula a régulièrement employé Roberto Gerardi comme directeur de la photographie. On pourrait croire à un gag mais je pense qu’il y a des directeurs de la photographie qui arrivent à aimer les femmes à travers leur appareil. Et il y en a d’autres qui, même s’ils les aiment sincèrement aussi, n’arrivent pas à rendre cela à l’écran, ou bien les moyens déployés ne suffisent pas à rendre un tel service à ces femmes. Il se crée ou non une étrange alchimie entre le directeur de la photographie et l’actrice …

Et Marc Porel …

C’était un très gentil garçon, lui aussi, qui s’est malheureusement perdu dans la drogue. Joe Dallessandro était pareil, et je ne sais absolument pas ce qu’il est devenu – d’ailleurs, est-ce que tu as des nouvelles de lui ? Je l’avais embauché pour Vacanza per un massacro (et je m’étais décidé à faire cela parce qu’il n’était pas le seul rôle principal du film). C’était un ex de la Factory d’Andy Warhol, il était si dépendant de la drogue qu’il suscitait facilement la sympathie, il était complètement en dehors du monde et du film. Le matin, à peine arrivé, il buvait entre 3 et 5 cognacs, puis il disparaissait jusqu’à ce que j’envoie quelqu’un le chercher – en fait il s’éclipsait pour se droguer puis revenait en quatrième vitesse, comme un cheval fou ; au bout d’un moment il me réclamait cinq minutes de pause et repartait au pas de course là où était planquée sa drogue, il devait aussi prendre des pilules sacrément efficaces car à chaque fois, lorsqu’il revenait, il semblait totalement normal et pouvait tourner sans problème, en récitant parfaitement son texte. Et à la pause suivante, hop, il repartait en courant, toujours comme un cheval fou. Il parait qu’il avait ainsi de la drogue pour s’envoyer en l’air et de la drogue pour revenir sur terre. C’était un personnage très gentil, très correct, mais qui était complètement « out » et c’est vrai qu’il décrochait un peu la sympathie de tout le monde, et plus particulièrement la mienne Aussi je cherchais à le mettre à l’aise le plus possible, dans la vie comme sur le tournage. Je ne sais pas où il se trouve aujourd’hui ni ce qu’il fait, mais lorsqu’on me parle de Vacanza per un massacro, c’est surtout à lui que je pense … à Joe en train de courir vers moi. Vacanza per un massacro était un film de commande, un produit standard que j’ai accepté de tourner afin d’aider un producteur qui traversait alors de graves difficultés économiques. Le scénario était l’œuvre d’un autre réalisateur, avec lequel le distributeur du film ne désirait pas travailler. En revanche, ce distributeur voulait bien faire le film si j’en assurais la réalisation (1). J’ai dû tourner Vacanza per un massacro en deux semaines, ou 12 jours plus exactement. En 12 jours il est facile d’abîmer le plus beau des scénarios. Fort heureusement celui-ci ne valait pas grand-chose et je ne risquais donc pas beaucoup de le détériorer. Au contraire, de mon côté, j’ai tenté de l'arranger un peu avant de me rendre compte que c’était du temps perdu. 80 % du film se déroulait dans une maison de campagne, dans deux toutes petites chambres et le film souffrait d’asphyxie : la seule chose positive que j’ai réussi à faire, cela a été d’aérer un peu l’ensemble.



(1) Le producteur en question est Armando Novelli, avec lequel Fernando Di Leo collabora à maintes reprises dans les années 70 (Milano Calibro 9, La Seduzione, Colpo in canna) Quant au réalisateur- scénariste, il s’agit de Mario Gariazzo, auteur notamment du médiocre giallo érotique Play Motel.



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